2 février 2013 6 02 /02 /février /2013 06:00

 

294.3

 

 

L'horizon me rebute

Il est sans pain, et sans caresse

Alors j'y vais le rire au front

 

L'erreur serait, avec ces strophes, de la poésie, de s'accrocher à sa logique, de décrypter selon des schémas coutumiers, de chercher la devinette sémantique. Lire un poète, comme on fait du cheval, c'est se laisser porter au rythme de l'animal car se raidir meurtrit en compromettant la prochaine balade. Laisser monter librement les mots bruts, les associations étranges, comme des saveurs et odeurs nouvellement chargées d'évocations.

J'émets ce préambule, parce que je ne lis pas souvent de poésie et il m'arrive de maintenir l'accommodation rationnelle au moment d'y entrer. Alors: ôter les lunettes pour que naissent flous colorés et mouvants qui ne sont pas le monde distinct et sûr, et qui le disent tout autant d'intuition.

 

Langue lunaire et tasse de thé
Se trouver poète
À manger du foin
Écrire ! Oh, nom de Dieu !
Jeter des tambours au silence
Qui bondit sur l'eau de l'étang
Battant l'averse

 

Si vous avez suivi le Tango du nord de l'âme sur ce blog, vous savez que Luc Baba1 n'a rien à voir avec les quarante voleurs ni avec la contrebande, encore qu'il soit publié cette fois en bookleg2 de Maelström. Vous ne trouverez donc pas son dernier recueil dans le circuit des librairies traditionnelles et je peux difficilement vous communiquer tous les endroits3 où se vendent exclusivement les booklegs, puisqu'ils accompagnent, par définition, les lieux de performance des artistes. Merci à lui de m'avoir transmis ce #95.

 

Ton enfant s'est coupé le bord du rêve 

 

Poursuivant sa pratique intense de la langue et des mots, Luc propose un opus au ton inchangé et toujours aussi généreux, reconnaissable à ses assemblages et trouvailles sonnantes, à son implication dans les difficultés d'être dans une société effarouchée. Rapport aux sonorités: ces vers sans rimes, beaux aux yeux, sont faits pour être dits, mieux en musique, et j'entends facilement la voix grave et émue les remuer. Avec ce regret de n'avoir pu assister à sa récente lecture publique. 

 

Avant même d'être l'horloge

Ton cœur était un poing d'enfant

 

Il est désespérément beau de voir l'homme crier au ciel sa solitude et sa désillusion devant la timidité du monde. Rien que cela, somptueux réconfort, mérite qu'on partage ces textes. Pour 3€, vous en ferez deux heures belles, ou trois si vous le voulez...


La maison des mots

Commençait par le toit  

Où je vis désormais debout

 

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Car, oui, les écrivains existent bien... 

 

 

1 Un article complet de Jeannine Paque sur l'écrivain interprète dans Le Carnet et les Instants (papier) de Décembre-janvier (n°174 page 12). Le blog de Luc Baba ici.

2 Jeu de mot sur bootleg, de contrebande.

3 Voir diffusion/distribution des booklegs. 

 

 

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7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 05:51

Éditions Stellamaris, 2012 - 285 pages

 

Couverture-La-nuit-des-poetesLes Apéciens (Ateliers de Poésie Classique) sont un groupe de poètes et poétesses qui s'est fixé pour objectif de remettre au goût du jour les formes fixes tombées en désuétude ou peu connues. Ils s'ouvrent aussi à l'importation venus d'autres horizons de certains types pouvant être adoptés par la versification française classique qui demeure, à leurs yeux, l'une des plus nobles des littératures de par le monde (je cite ici l'introduction). Centré sur le thème de la nuit, il s'agit de leur second recueil, le premier Écrire est paru également aux éditions Stellamaris. Leur site POESIS très coloré accueille les visiteurs sur une musique classique de circonstance. Avis aux versificateurs en herbe !

 

Le mot poésie est étranger pour moi à l'idée de règle, de convention, de contrainte. Si celles-ci servent parfois des réussites incontestables voire des chefs-d'œuvre, je pense à l'architecture ou aux arts numériques, elles ne sont pas primordiales à mon sens en matière d'expression écrite ou orale, que j'apparente davantage à la musique. Certains argueront que celle-ci est très liée aux mesures et mathématiques. Je n'imagine pas que les plus belles mélodies aient été inspirées par un comptage exigeant de notes, même si elles demeurent fixées dans les limites de règles musicales consensuelles. Voilà le débat ouvert.

J'accorde beaucoup plus d'importance aux aspects sémantiques et à une expressivité moins orientée vers la forme. Le rythme des alexandrins ne me paraît pas plus noble ni plus efficace que celui d'une prose au rythme libre et aux tonalités vivantes bien adaptées à ce qu'elle se propose de d'énoncer.

Vous l'aurez compris, je suis public difficile pour les poètes classiques et pour ceux qui s'y essaient aujourd'hui. Ce qui ne m'empêche pas de reconnaître les efforts nécessaires pour produire des pièces littéraires métrées, un beau challenge. Il m'arrive d'ailleurs de sécher devant un sudoku.

 

Les Apéciens (ils sont 10 co-auteurs) abordent ici la nuit sous tous ses aspects, source d'inspiration inépuisable pour tous les poètes. Onze chapitres répartis par thèmes comme la nuit de l'âme, la nuit des amants, les fantômes, rêves et cauchemars, nuit de fêtes,... Le tout est fort bien présenté sur un papier accueillant avec une belle couverture bleu... nuit.

 

auclairdelalune.jpg

 

Si je me suis fait saisir au corps récemment par les textes du Tango du nord de l'âme d'un genre différent, je ne peux exprimer un avis aussi net sur cette prosodie classique. Tout en saluant la forme qui s'en tient rigoureusement à certains canons (alexandrins, décasyllabes, rimes riches), je regrette le convenu des idées exprimées. C'est bien fait mais ne bouscule pas. La limonade qui ne pétille pas, vous comprenez.

 

J'ai de plus trébuché, et ceci ne dérange que moi, sur certains termes contraints par la rime. Un exemple, pour évoquer la mort :

 

Tu seras, à ton tour, offert en froid repas

Aux vers quelle que soit la longueur de ta piste 

 

Ce piste surgit là pour rimer avec liste deux vers plus haut (pour vie, chemin, route, destin).

 

À ceci s'ajoutent trop d'expressions prévisibles et de lourdeurs académiques : azur, muse, aurore céleste, autel doré, ire des cieux, éther sidéral,... Plus que la versification rigide, ce dernier point a largement nuancé mon regard sur ces textes.

 

Cependant, même si cette poésie ne correspond pas à ma sensibilité, je ne conteste absolument pas les qualités appréciables des pièces présentées dans La nuit des poètes qui méritent certainement de voir salué l'effort abouti des Apéciens.

 

J'ai pu réaliser la chronique de cet ouvrage grâce au site Les Agents littéraires, qui s'est donné pour mission de repérer les meilleurs livres non médiatisés et d'en faire la promotion sur internet. Je les remercie ainsi que les éditions Stellamaris.

 

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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 06:20

 

...Et 30 vilains petits poèmes (Éditions M.E.O)



tango-1c.jpgCe serait comme jeter quelques taches de peinture sur une toile, pas complémentaires, inopinées mais qui désigneraient quelque chose de nouveau, qu'on ne penserait jamais donner à ressentir. Mais quelque chose de juste. Ou lancer des notes absurdes, des accords inédits, croches ou demi-soupirs incongrus qui s'accrochent en un jingle qu'on n'oubliera pas, parce que c'est ce qu'on aurait voulu proférer un jour sans soleil. Les strophes de Luc Baba sont comme cela, téméraires, en révolte et sans normes, glaçantes et pénétrantes. Et magnifiques.

 

Un freux détaché de la nuit

Donnait à l'aube un cou de bec 

 

Ces poèmes - je n'aime pas ce mot trop scolaire, chargé de mesures calculées auxquelles je préfère les mots sautillant en liberté -, cette poésie disais-je, m'a accompagné pendant deux semaines le matin au lever, un rituel étrange, deux ou en deux minutes pour apprivoiser le recueil et y revenir souvent, les yeux clos ou vides pour y découvrir d'autres clés ou d'autres échos colorés, comme à travers un kaléidoscope.

 

Sous l'ardoise bleue des paupières

C'est de l'ambre

Et de vieux insectes

Et va le temps long de la pierre

 

J'ai souvenir de bons moments passés avec Luc autour de l'écriture et je revois cette immense photo des trois ''grands'', Brel, Ferré, Brassens qui éclairaient ses ateliers. Comme eux, il dit ce qui est, y compris ce qui est moche, avec une préférence pour le moche dans son cas. Car l'écriture paraît un exutoire pour lui, presque un défi à la souffrance et à la laideur. Et c'est violent :

 

Le froid aiguisait une lame

À ses os

Un froid d'usine

Et le chandail noir des oiseaux

Lui semblait une injure de Dieu

Alors qu'il n'existe pas

 

Voici ce qu'il m'a confié: ... c'est un recueil de poésie. Le premier, écrit lors d'un hiver difficile. L'homme du trottoir, c'est le marginal libre, basculant entre le bonheur et la douleur d'être l'un et l'autre. Mais c'est toujours le texte qui décide. Quelques mots naissent, un personnage, on le suit, et les questions viennent ensuite. Les 30 vilains petits poèmes, c'est un ressac d'amours bâclées, que je regarde avec le sourire de la distance...

 

Du vin que je buvais sur ta langue

J'ai gardé ce goût de verre brisé

 

C'est une première publication poétique pour cet auteur liégeois dont on connaît l'attirance pour la scène : acteur, chanteur, slameur. Douze romans ont vu le jour sous sa plume, tous publiés. Et une foule de textes, du théâtre, des nouvelles,... Visitez le blog de cet artiste épris des mots, qu'il invente, dit ou chante avec une ardeur sombre et communicative. 

 

Il évoque aussi des projets : J'écris encore des romans. Les aigles ne tuent pas les mouches, le dernier en date, est sorti en octobre dernier. Le prochain pourrait paraître l'an prochain. Mais j'en parlerai alors... Je travaille en outre sur un roman de plus longue haleine, qui s'ouvre en 1917 sur les bords de la Meuse.

 

Et je m'en réjouis, car c'est avec joie que je retourne vers ses écrits à l'éclat singulier, non-conformistes, soulignés pour l'humanité et la sincérité.  

 

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