30 avril 2013 2 30 /04 /avril /2013 05:00

 

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Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d'eux.

René Char.

 

 

Perdre le mot non équivaut à devenir un béni-oui-oui, ne plus s'opposer à rien, devenir un interlocuteur sympathique et conciliant qui caresse systématiquement ses proches et amis dans le sens du poil: ...il tend la bouche vers l'avant et cale les incisives pour souffler la décisive consonne, mais là, le mot ne vient pas, il lui reste sur la langue comme un noyau de cerise, un chewing-gum qui refuserait de buller. 

 

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Un seul mot vous manque et le monde vacille, écrit le Magazine Littéraire. Voilà ce qui arrive à Beaujour, employé dans un institut de sondage. Le handicap lui réserve quelques situations cocasses et le conduit à des comportements de nature à modifier le cours de son existence paisible. Ainsi ne plus laisser le choix à ses sondés qu'entre oui et ne sait pas, ce qui convient idéalement à ceux qui cherchent à tirer bénéfice des enquêtes d'opinion, ceux qui considèrent qu'un sondage doit délivrer les conclusions attendues. Sa technique involontaire transforme Beaujour − oui permanent aux desideratas du patron −, en concepteur très demandé de questionnaires biaisés dangereux, comme celui qui consiste à faire dire à un ouvrier, malgré lui, qu'il souhaite sa délocalisation à l'étranger. 

 

Ne pas trouver ses mots, ne fût-ce qu'un seul, amène naturellement à fréquenter un atelier d'écriture. Beaujour y suit les conseils d'un animateur intuitif: ...Les mots c'est un peu le prénom des choses, une manière de les apprivoiser, sans quoi on serait environné d'inconnus. [...]. La mémoire est un mensonge, seul l'imaginaire dit vrai. Partant de là, l'auteur insère dans le récit une série de broderies, compositions de Beaujour dans le cadre de l'atelier, textes joliment travaillés, désignés sous la belle appellation L'ouvroir des mots perdus. Un retour aux origines, au plus lointain, pour retrouver le nouveau-né, là où le mot s'est perdu, l'enfant chéri et dorloté qui n'aurait pu que dire oui aux égards et à l'affection dont il était l'objet. Du oui de l'enfant bienheureux, il n'y a qu'un pas au oui des citoyens pour les évolutions sociales et technologiques pleines de promesse de la seconde moitié du vingtième siècle, la télévision pour tous, la voiture et en point de mire le merveilleux an 2000 qui promet un monde formidable: comment dire non à cela ?  


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Conséquence inespérée de la lacune verbale: Beaujour, alors qu'il quitte son bureau pour aller aux toilettes, ne peut refuser l'invitation de sa collègue Marie-Line qui, pensant qu'il prend sa pause de table, l'invite à partager le restaurant de midi. On devine l'embarras de notre personnage quand sa partenaire, sortant une cigarette, lui demande si la fumée le dérange: oui, forcément. Sur le coup, le gentil Beaujour devient aux yeux de Marie-Line l'homme qui sait ce qu'il veut, qui s'affirme. Une idylle sauvera-t-elle l'homme qui ne savait plus dire non ?  

 

Dire oui [...] donne l'impression d'un pouvoir absolu, de tout comprendre, de tout accepter, de régler le sort du monde, de tout faciliter. Beaujour dit toujours oui pour rendre sa vie plus confortable. S'exposer à un non peut être perçu comme un rejet, une trahison, le non renvoie au néant, du moins à l'impression que nous sommes fondamentalement seuls, incompris, ou mauvais. Serait-ce par empathie que Beaujour ne dit pas non

 

Serge Joncour est l'auteur d'une dizaine de romans, dont UV prix France Télévision 2003. Il collabore à l'émission Les papous dans la tête sur France-Culture. 

 

En certifiant ne subir aucune altération par contagion de mon vocabulaire critique négatif, j'émets pour ce livre divertissant, pas idiot du tout, qui réserve quelques pages mûries, d'une agréable langue limpide, j'émets sans ambages un indéniable             

 

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commentaires

A
<br /> Non, souvent le mot le plus difficile à prononcer, tout au moins pour certain(e)s ! J'admire toujours ceux qui le font avec naturel, je comprends et je plains, ceux pour qui c'est un problème !<br /> Je rêve de pouvoir le prononcer sans tension, ni agressivité et surtout qu'il soit reçu sans peine ...<br />
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C
<br /> <br /> @ Annie: Reçu sans peine, bien sûr, et cela coûte parfois, non seulement pour l'autre mais aussi pour soi qui court le risque d'essuyer de la rancune. <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
K
<br /> Je viens de terminer La nuit d'Ostende , mais je ne le recommanderai pas vraiment (me suis un peu ennuyée)(et c'est un<br /> pavé). Tapez dans les valeurs sûres...<br />
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C
<br /> <br /> Après avoir terminé un court mais ardu Maurice Blanchot (Le Ressassement Éternel suivi de Après coup), je pense emporter en villégiature un John Banville et Pierre Michon<br /> (Le Roi vient quand il veut). Deux valeurs sûres selon moi.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Ma liseuse m'offre de plus un tas d'autres possibilités si l'envie s'en fait sentir.<br /> <br /> <br /> <br />
K
<br /> Ici muguet et pluie...<br /> <br /> <br /> Oui, un auteur peut se planter, mais chacun ses goûts, ce roman L'amour sans le faire a plu à bien d'autres.<br /> <br /> <br /> A ce salon j'espère rencontrer un auteur plus "nature et voyages", le seul achat prévu (mais méfiance, je peux craquer pour autre chose...)<br />
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C
<br /> <br /> @ Keisha: Du muguet et quelques timides rayons de soleil.<br /> <br /> <br /> Nous espérons du temps plus propice à la fin de la semaine, ma compagne et moi séjournons quelques jours à la côte belge. Toujours pas choisi quels bouquins emporter. J'espère ne pas être tenu de<br /> lire beaucoup à cause de la pluie !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
K
<br /> Serge Joncour... Son dernier roman m'est tombé des mains. Dimanche il sera à un salon où je me rends.<br /> <br /> <br /> Puis votre billet alléchant... et bien illustré...<br />
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C
<br /> <br /> @ Keisha: L'amour sans le faire est son dernier, je crois ? Je n'ai lu que celui-ci. Comme vous l'avez déjà dit, certains romans ne viennent pas au moment qu'il faut, en fonction de<br /> notre humeur, de nos envies, du sujet. Il se peut aussi que l'auteur se plante. <br /> <br /> <br /> Bon 1er mai et bonne visite au salon où vous irez.  <br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> J'ai oublié de vous dire que cette présentation graphique originale rend la lecture de votre billet, souriante!<br />
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C
<br /> <br /> @ Colo: Malgré les sous-rentendus évoqués dans le commentaire précédent, cela reste un livre divertissant et parfois comique. D'où mes illustrations. <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Belle journée, portez-vous bien Colo !<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Un fort beau billet qui donne très envie de le lire.<br /> <br /> <br /> Pourrait-on dire que ce roman est comme une fable sociétale repésentaive du XXº siècle où nous avons tous dit OUI à tout en politique de croissance, consommation, écologie...?<br /> <br /> <br /> Oui, donc, je vous souhaite une belle journée, merci.<br />
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C
<br /> <br /> @ Colo: Dans mon billet je n'ai pas voulu trop insister sur le sujet "croissance, consommation, déchets,...", Joncour n'insiste pas trop non plus, mais c'est évoqué et il est clair que c'est une<br /> réflexion qui sous-tend le roman.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> La croissance est une bonne chose tant que tout roule. On commence à en voir les aléas. Et elle semble rester la seule alternative. Qui dira non merci et oui à la planète ? <br /> <br /> <br /> <br />